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22 Sep

« Djellali Kamal », sans-papier tunisien, candidat à la présidentielle en 1974

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #Chroniques sociales et politiques, #Mémoire, mémoires, #Portraits, #immigration, #migrants tunisien(ne)s

IL ETAIT UNE FOIS LES MIGRANT(E)S TUNISIEN(NE)S (6)

 

Pour ce 6ème texte de la rubrique « Il était une fois les migrant(e)s tunisien(ne)s » j’aborde aujourd’hui cette histoire particulière d’un immigré sans-papiers qui a présenté sa candidature à l’élection présidentielle française de 1974. Outre son caractère osé pour l’époque cette initiative - qui fut d’abord et avant tout une expérience collective - aborde et explore avant l’heure un terrain nouveau, celui de la place des immigrés dans le champ et l’espace politique en France.  Telle est l’histoire de « Djellali Kamal », sans-papier tunisien, candidat à la présidentielle en 1974

 

***


« Djellali Kamal », sans-papier tunisien, candidat à la présidentielle en 1974
 

Le 25 mars 1974, 37 sans-papiers (Tunisiens, pakistanais et mauriciens) entament une grève de la faim dans un local, rue Dulong  appartenant à la paroisse Sainte-Marie des Batignolles (Paris 17è). La grève va durer 19 jours (du 25 mars jusqu'au 12 avril 1974) et sera ponctué d'événements importants en particulier lorsque le 9 avril le gouvernement annonce la régularisation des seuls Pakistanais et Mauriciens, lesquels refuseront par solidarité avec leurs camarades tunisiens.

 

Une semaine après, le 2 avril 1974, et deux ans avant la fin de son mandat, le président Georges Pompidou meurt des suites d’une maladie.

 

Evidemment il n’y a aucun rapport entre les deux évènements sauf que la mort du président Pompidou, évènement majeur, avait focalisé l’attention des médias et par contrecoup risquait de passer sous silence la grève de la faim des sans-papiers.

 

Les militants qui soutenaient la grève de la faim notamment les membres du MTA (Mouvement des Travailleurs Arabes) trouvent indispensable de lancer une initiative au moment des élections anticipées qui doivent se dérouler les 5 et 19 mai 1974. 

 

Et pourquoi ne pas présenter un candidat immigré à ces élections ? Cette idée, qui trottait dans les têtes des militant(e)s du MTA, fut lancée lors d’un colloque sur le thème de l’immigration, colloque organisé alors par les comités de soutien aux travailleurs immigrés, qui a lieu à Marseille les 20 et 21 avril 1974. Nous sommes en effet dans un contexte particulier avec de nombreuses grèves de la faim de sans-papiers qui se poursuivaient pour obtenir leur régularisation. Une dizaine de grèves sont, encore, signalées à Paris, Toulouse, Lyon, Aix en Provence, Nice, Avignon, Montpellier… Comme à Valence en 1972 les tunisiens sont là également très nombreux parmi les grévistes et celle de la rue Dulong à Paris ne fait pas exception.

 

 

« Djellali Kamal », le candidat idéal

 

L’idée de présenter un candidat immigré à ces élections est dès lors lancée et la dynamique s’enclenche. Le jeune tunisien « Djellali Kamal », 18 ans, est justement l’un des sans-papiers grévistes de la faim de la rue Dulong. Selon Driss Yazami, un des fondateurs du MTA, Djillali est « un garçon qui était très, très doué pour la communication va être un des événements de cette campagne ».

 

Bien sur cette candidature est surtout symbolique puisque la loi impose la nationalité française pour être candidat à une élection. Qu’importe, symbolique pour symbolique, l’objectif recherché par les militants était avant tout que la grève de la faim des sans-papiers ne passe pas inaperçue dans les médias.

 

Voilà d’ailleurs comment le jeune « Djillali Kamal » présente sa candidature lors d’une rencontre-débat le 3 mai, dans une salle du 49 rue Bobillot dans le 13ème arrondissement à Paris.  « Parler de nos problèmes, il n’y a que nous qui puissions le faire. Nous n’irons pas aux bureaux de vote, mais nous voterons à notre manière. Ma candidature est le cri de millions d'hommes réduits au servage en plein XXe siècle... Nous n'irons pas au bureau de vote, mais nous voterons à notre manière. Liberté d'expression et d'association pour les immigrés. Égalité des droits conquis par l'ensemble des travailleurs de France. Halte au marché impérialiste de l'esclavage moderne ».

 

Bien que symbolique sa candidature pouvait néanmoins et heureusement compter sur quelques soutiens et notamment, à l’époque, ceux de René Dumont, candidat écologiste et Alain Krivine, candidat d’Extrême-gauche, qui proposent de céder un peu de leur temps d’antenne au « candidat » Djilali Kamal.

 

 

Oui mais qui est « Djellali Kamel » ?

 

A ce jour aucune photo ni documents mentionnant le véritable nom de « Djelali kamal » n’était disponible. Il a donc fallu faire des recherches et des recoupements pour commencer à y voir un peu plus clair.

 

Et les recoupements commenceront en partant d’une déclaration de Driss El-Yazami qui nous précise que Djellali Kamal « C’est un nom, pas son véritable nom, composé de Djilali qui est le nom d’un jeune Algérien tué par un concierge raciste à Barbès, dans le XVIIIe arrondissement …».

 

En effet chacun se souvient de l’assassinat de Djellali Ben Ali, jeune adolescent algérien de 15 ans et demi tué le 27 octobre 1971 à la Goutte d’Or, d’un coup de fusil de chasse par un chauffeur-livreur. Un « Comité Djillali » s’était alors constitué pour le suivi judiciaire et politique de l’affaire. C’est dans la salle Saint-Bruno qu’il tenait ses réunions. 
En soutien à ce comité un certain nombre d’intellectuels, parmi lesquels Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Claude Mauriac, Gilles Deleuze, Michèle Manceaux, Jean-Claude Passeron, … s’étaient mobilisés afin d’enquêter sur cet assassinat. 
Pour mémoire le jugement n’est prononcé que le 21 juin 1977 à la cour d’Assises de Paris et Daniel Pigot, le meurtrier, est condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis.

 

Quand au prénom Kamal, Driss El-Yazami rappelle que c’est « le nom d’un ami militant qui était sous le coup d’une expulsion pour « trouble à l’ordre public ». S’agit-il du pseudonyme du tunisien Mohamed Selim Najeh, militant du MTA et secrétaire général du Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés (CDVDTI), contre lequel un arrêté d'expulsion avait été pris en juillet 1973 par M. Marcellin et qui s’était réfugié clandestinement en Belgique ? Pas si sur car comme le rappelait de son côté le regretté Saïd Bouziri « Nous étions certes en France mais on parlait de “ chape de plomb ” à l’époque. Les immigrés n’avaient pas le droit à la vie associative, pas le droit de manifester. Ils étaient passibles d’expulsion. Les expulsions, j’y ai été confronté et je n’ai pas été le seul. Cela a donné lieu à une mobilisation, avec grève de la faim, etc. J’ai réussi à rester mais plein de copains ont été expulsés : Mohamed Laribi, Mohamed dit Salim Najah, le pasteur Berthier Perregaux, Maurice Courbage, Larbi Boujnana et des dizaines d’autres... (…) Selim Najah était ouvrier. Il est revenu après 1981 et vit à Paris maintenant ». 

 

Peu importe, retenant seulement que comme le nom « Djellali », le prénom choisi, « Kamal », l’avait été en solidarité avec un « militant qui était sous le coup d’une expulsion pour « trouble à l’ordre public ». Là est le véritable symbole.

 

 « Kamal » « un garçon qui était très, très doué pour la communication va être un des événements de cette campagne » disait encore de lui Driss El-Yazami en parlant de cette candidature symbolique. En effet « Djillali » était très doué à telle enseigne qu’on le retrouvera, en 1975, au côté de son compère Mohamed Bachiri (le regretté « Mokhtar » de radio Soleil-Goutte d’Or) et de Hamza Bouziri pour lancer le projet de « radio- Assifa  ». Une version par ailleurs confirmée par l’un des fondateurs de la troupe de théâtre Assifa, Philippe Tancelin, lequel nous rappelle que « En mai 1975, Mokhtar et d’autres militants issus de la mouvance culturelle du MTA cherchent à travers ce projet à trouver de nouveaux moyens de communication, écrits ou oraux, à destination des travailleurs immigrés et participent au lancement de « Radio-Assifa ». L’hebdomadaire Sans-Frontière participe au lancement, aux côtés de militants (dont Mokhtar et Djillali Kamel) privilégiant les traditions orales de l’immigration ». 

 

Ahmed OURAQ alias "Djilali Kamal"

 « Djellali Kamel » un garçon si doué qu’il en deviendra même, en 1996, le manager de Cheb khaled. 

 

A. Bouazizi, autre membre historique du MTA, a lui aussi bien connu « Djelali Kamal » notamment durant la grève de la faim de la rue Dulong à Paris. « Il faisait partie d’un groupe de travailleurs sans papiers qui ne supportant plus d’être surexploités par leur employeur se sont présentés au local du MTA avec la ferme décision de se mettre en grève de la faim pour obtenir leurs papiers ». Il se souvient de « Djelali » - de son vrai nom Ahmed Ouraq - « était l’élément le plus dynamique du groupe des grévistes de la faim et jouait un peu le rôle de porte-parole ».

 

Donc « Djilali Kamal », candidat à l’élection présidentielle en 1974, futur manager de Khaled n’est autre que Jilali OURAQ ou plutôt Ahmed OURAQ dit « Djilali » comme le précise d’ailleurs le livre « L’aventure du Raï » publié en 1996.

 

Mohsen Dridi
 

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