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04 Oct

Assassinat de Mohamed Bechir Rassaa le 16 mars 1975 à Vanves

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #migrants tunisien(ne)s, #Mémoire, mémoires, #Chroniques sociales et politiques

IL ETAIT UNE FOIS LES MIGRANT(E)S TUNISIEN(NE)S (7)

 

Pour ce 7ème texte de la rubrique « Il était une fois les migrant(e)s tunisien(ne)s » nous revoilà replongé dans le contexte des années 70 marqué par une recrudescence du racisme et surtout, en particuliers dans la région Provence-Alpes Côtes d’Azur, la multiplication des assassinats contre des immigrés arabes. Mais en réalité ce racisme ne se limite pas au sud de la France et touchera d’autres régions du pays. 
C’est justement l’histoire de  l’assassinat en 1975 de Mohamed Bechir Rassaa à Vanves, en région parisienne, dont il sera question ici.

 

 

Assassinat de Mohamed Bechir Rassaa le 16 mars 1975 à Vanves

 

Samedi 16 mars 1975, un ouvrier tunisien. M. Mohammed Béchir Rassaa, trente-huit ans, peintre en bâtiment, installé en France depuis 1956, est tué d'une balle de carabine 22 long rifle en pleine poitrine, par M. Philippe Rocher, trente ans, vendeur-courtier.  Qui plus est Mohamed Rassaa, était visiblement un « militant engagé, antiraciste convaincu, qui écrivait des nouvelles, le soir, sur un cahier d'écolier » (cf. Le Monde 1977). 

 

Militant engagé, voilà d’ailleurs un aspect méconnu de la vie de Mohamed Béchir Rassaa que semble confirmer cet extrait du journal de l’organisation Lutte Ouvrière de 1976 qui parle de « notre camarade Mohamed Bechir Rassaa fut abattu par une bande raciste », « La bande des racistes en voulait particulièrement à Rassaa parce qu'il ne cédait pas à l'intimidation, qu'il savait se défendre et amener les autres à se défendre, en particulier les autres locataires de l'immeuble en butte eux aussi aux sévices de la bande ». Ou encore ce témoignage de l’un des frères Mohammed Béchir Rassaa qui, lors du procès, affirmait ceci « Mon frère croyait à la justice, il militait pour ça, moi je n’y croyais plus. Si nous sommes ici, c’est que j’ai eu raison ». Alors Mohamed Bechir Rassaa militant proche de LO ? 

 

À signaler également que le MTA (Mouvement des travailleurs arabes) comme l’UTIT (Union des travailleurs immigrés tunisiens) étaient très présentes dans la mobilisation.

 

Une fois encore nous voilà plongé dans le contexte de l’époque où les assassinats racistes anti arabes se multiplient. Ainsi entre 1971 et 1974, le nombre des agressions parfois mortelles commises sur des arabes (on disait alors nord-africains) est estimé à environ 350. Et, en ce 16 mars 1975, l’assassinat, à Vanves, de Mohamed Béchir Rassaa vient à son tour confirmer cette amère réalité.


 
Mais comme c’est malheureusement souvent le cas - et le meurtre de Mohamed Bechir Rassaa n’échappe pas à cette règle - la vérité est, dans un premier temps, niée par la police et par une partie de la presse comme le montre à l’évidence le rapport rédigé par le commissaire de Vanves qui parle alors « d’un différend locatif » ou encore « querelle de voisinage » comme l’annonce l’AFP, thèse d’ailleurs reprise un temps par la presse. On verra que dans ce cas aussi, par sa négligence dans le suivi de cet assassinat, la police porte une lourde responsabilité. Comme par exemple l’hypothèse selon laquelle M.B. Rassaa serait resté 5 heures agonisant sans que la police n’appelle un médecin.  

 

Mais voyons d’abord les faits notamment avec cet article du journal Le Monde, en date du 18 mars 75, ainsi que le texte publié en mai 1975 dans Al-Ittihad le journal de l’UTIT (Union des travailleurs immigrés tunisiens).

***


Un assassinat raciste : Voici les faits

 

« Les faits doivent être rappelés : dans la soirée du 16 mars dernier, un ouvrier tunisien. M. Mohammed Béchir Rassaa, trente-huit ans, peintre en bâtiment, installé en France depuis 1956, est tué d'une balle de carabine 22 long rifle en pleine poitrine, par M. Philippe Rocher, trente ans, vendeur-courtier.

Le crime est commis dans l'escalier d'un immeuble situé 74, rue Jean-Jaurès, à Vanves, où habitent, à l'époque, d'une part, M. Rassaa, son cousin Hedi et un ami également d'origine tunisienne, M. Mohammed Toumi, et, d'autre part, M. Jean Maigne, vingt-cinq ans, actuellement au chômage.
(…) Jusqu'à une heure avancée de la nuit - trois ou quatre heures - M. Maigne et ses amis font beaucoup de bruit.

Au début, les trois ouvriers tunisiens, qui habitent un appartement contigu, se contentent de faire des remarques. Il leur est répondu par des injures souvent racistes. Puis, comme ce tapage nocturne se renouvelle très fréquemment, MM. Rassaa et Toumi se décident à appeler police-secours. Au total, les travailleurs immigrés se plaindront huit fois, soit en téléphonant, soit en se rendant directement au commissariat. À chaque fois les agents de police interviennent, mais d'une façon bonhomme, envers M. Maigne et ses amis : de simples avertissements, à la rigueur un procès-verbal, et dès que les gardiens de la paix sont partis, la " sarabande " recommence.

Le 8 mars, soit huit jours avant le crime, c'est plus grave : M. Mohammed Rassaa est brutalisé par son voisin. Plaies à l'oreille et à la main droite, qui lui vaudront, après examen médical, huit jours d'incapacité de travail.

Le surlendemain, une plainte, signée par le concierge et la plupart des locataires de l'immeuble, est adressée, contre M. Maigne, au procureur de la République. Les autorités judiciaires sont donc aussi informées. Et puis, le 16 mars, c'est le drame, qui se déroule en deux temps.

En début de soirée, M. Malgne et ses amis sortent de l'immeuble, an moment où rentrent MM. Mohamed et Hédi.  « C'est le moment ou jamais » lance alors une voix. Comprenant qu'ils vont être victimes d’une ratonade, les deux ouvriers tunisiens s'enfuient chacun de son côté et réussissent à échapper à leurs poursuivants. Après une course éperdue, l’un des deux travailleurs immigrés rencontre une patrouille de police. il explique aux agents la tentative d'agression. Ces derniers répondent que cette affaire n’est pas de leur compétence territoriale : « On  appartient au commissariat d'Issy-les-Moulineaux ». Terrorisés, MM. Mohammed et Hedi Rassaa retournent chez eux. 

Il est environ 22 h 30 quand M Malgne et ses amis regagnent l’immeuble de la rue Jean-Jaurès. 

Entre-temps, ils ont consommé modérément dans des cafés, et, surtout ils sont allés chercher chez M. Bernard Lamarre la carabine 22 long rifle dont M. Philippe Rocher se munit : « C’est bien avec cette arme que j’ai tiré l’Arabe », dira textuellement le meurtrier dans sa déposition à la police, « Tu sais que tu vas mourir aujourd’hui », avait auparavant lancé un des agresseurs à l’adresse de M. Mohammed Rassaa. 

Au deuxième étage de l'immeuble, les trois Tunisiens, qui craignent le retour de leurs voisins, sont sur le palier, armés, eux, d’un pied de chaise. A 4 mètres de distance. M. Philippe Rocher ouvre le feu sur M. Mohammed Rassaa, qui meurt presque aussitôt. (…) Les six agresseurs — l’un d’eux ne sera pas identifié — s’enfuient. Alertée, la police fera cette fois diligence : les frères Rocher et mm Maigne, Lamarre et Roussel sont arrêtés peu après. 

Dans son rapport le commissaire de Vanves parle « d’un différend locatif >, mais outre qu'il reconnaît que les trois travailleurs immigrés bénéficiaient de l'estime de tous ceux que les ont approchés, au contraire de M. Maigne et de ses amis, il écrit aussi qu’est évoquée à propos de cette; affaire une atmosphère raciste. 
Seuls MM. Philippe Rocher et Jean Maigrie ont été Incarcérés ; les trois autres sont en liberté sous contrôle judiciaire
» (le Monde du 18 mars 1975).

 

La mobilisation s’organise

 

Le 21 mars lors d’une conférence de presse organisée à Paris, le frère de la victime, venu de Tunisie, dénonce le silence des voisins mais également l’impunité dont jouissent les groupes racistes organisés.  C’est justement à la demande de la famille qui avait alors décidé de se battre qu’un comité va être mis en place. Il semble même qu’une lettre de la famille de Mohamed Béchir Rassaa fut envoyée au président de la république V. Giscard d’Estain.

 

Le comité pour la vérité sur l’assassinat de Mohamed Béchir Rassaa 


Pour mener la campagne de la façon la plus unitaire possible se constitua d'abord un « Comité pour la vérité sur l'assassinat de Mohamed Bechir Rassaa ». En effet à  l’initiative de la famille un appel pour la constitution de ce comité va être lancé et qui trouvera un écho auprès de nombreuses personnalités. Ce comité sera soutenu par   Le MTA, l’UTIT ainsi que de nombreuses organisations de gauche et d’extrême-gauche. Voici le contenu de l’appel :
 « Mohamed Bechir Rassaa a été assassiné à son domicile le 16 mars 1975 par Philippe Rocher. On a dit à l’époque qu’il s’agissait d’une querelle entre voisins. C’est faux. Il s’agit d’un crime raciste, prémédité, qui n’a pu s’accomplir que grâce à la passivité, sinon la complicité de la police locale.
Pour que toute la vérité soit faite sur ce crime raciste, nous tenons à apporter nos témoignages, ainsi que tous les éléments qui viennent les confirmer.
Nous avons décidé de constituer un Comité pour la vérité sur l’assassinat de Mohamed Bechir Rassaa.
Nous appelons tous ceux qu’indigne le racisme et ces forfaits, tous ceux qui sont prêts à agir, ainsi que toutes les organisations de gauche et d’extrême-gauche à se joindre à notre comité et à soutenir son action
».

Parmi les signataires nous trouvons : Pierre Vidal naquet, Jean-Paul Sartre, Laurent Schwartz, Jean Lacouture, Serge Reggiani, Claude Nougaro, Leny Escudero, Christiane Rochefort, Maurice Nadeau, Maxime Rodinson, Marguerite Duras, Claude Roy, Yves Boisset, Marc Ogeret. Arlette Laguiller, Alain Krivine, Gilles Martinet , M° Stül, Pierre Naville, Nicole Rein-Clément, Marguerite Bonnet, Christiane Rochefort, …
 

La première action du comité fut « de diffuser massivement à toute la population un tract qui établissait le véritable caractère du crime, en balayant les affirmations de la police et de la presse. Ce tract désignait aussi, nommément, les auteurs de l'assassinat, ceux qui étaient emprisonnés et ceux qui avaient été remis en liberté par la police, et donnait tous les détails sur leur identité et leur adresse. Cette diffusion massive, faite de telle sorte que la quasi totalité de la population de la commune soit touchée en peu de temps, fut suivie dans un délai très bref de journées d'explication. par deux fois, pendant tout un mercredi soir et le samedi suivant, dans tous les lieux quelque peu fréquentés de la commune, des militants s'adressèrent dans la rue à la population, pour expliquer de vive voix, tant les circonstances du crime que les conséquences que pouvaient avoir le racisme et l'absence de réactions à son égard » (cf. Lutte ouvrière)

 

Ainsi une pétition également diffusée dans la ville de Vanves a recueilli plus de 3.200 signatures. Indiscutablement le travail de sensibilisation et d’explications a fini par payer et  la population prenant position contre l'assassinat, réclamait que toute la lumière soit faite.

 

Les meetings du 18 et du 25 avril

 

A Paris d’abord, le 18 avril un premier meeting est organisé à la Mutualité à Paris par le Comité pour la vérité sur l’assassinat de Mohamed Bechir Rassaa  faisant salle comble en présence d’environ 2000 personnes avec le slogan inscrit sur la banderole de fond « Combattre la gangrène raciste, mettre hors d’état de nuire les criminels racistes ! ».

 

A Vanves ensuite, le samedi 25 avril à 20h 30 dans une  Salle paroissiale de l’église Saint-François-d ’Assise, (rue Sadi-Carnot), un second meeting, toujours à l’appel du comité, qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes. " Ce n'est pas un simple fait divers. C'est un crime raciste. Et, dans cette affaire comme dans d'autres, la police, par sa passivité, est indirectement responsable ".  Les avocats de la défense M** Irène Terrel, Monique Antoine et Jean-Jacques de Félice, ou encore M. Henri Leclerc ont condamné la passivité de la police en posant quelques questions simples à savoir  « quelle aurait été l’attitude de la police si, à huit reprises en quelques mois des locataires français s'étalent plaints d’un tapage nocturne provoqué par des ressortissants nord-africains ? Quel aurait été le comportement de cette même police d'Issy-les-Moulineaux. de ‘Vanves ou d’ailleurs, si deux Français poursuivis « par des Arabes » avaient rencontré par hasard une patrouille ? Les agents auraient- Ils aussi strictement respecté la compétence territoriale »?

 

En conclusion, force est à la justice

 

Philippe Rocher a été reconnu coupable par la cour d'assises des Hauts-de-Seine du meurtre de Mohamed Rassaa, le 16 mars 1975, et condamné mercredi 26 octobre 1977 à douze années de réclusion criminelle Bernard Lamarre, son complice, s'est vu infliger six années de la même peine. Claude Rocher, frère de Philippe, a été condamné à quatre ans d'emprisonnement avec sursis et cinq ans de mise à l'épreuve pour n'être pas intervenu en vue d'empêcher le crime. Yves Mérieux, enfin, qui répondait du même délit, est condamné à deux ans de prison avec sursis et trois ans de mise à l'épreuve.

 

Telle est l’histoire de Mohamed Bechir Rassaa assassiné le 16 mars 1975 à Vanves.

 

Mohsen Dridi
03 octobre 2020 
 

Extraits de "Al-Ittihad" mai 1975 (journal de l'UTIT actuelle FTCR)
Extraits de "Al-Ittihad" mai 1975 (journal de l'UTIT actuelle FTCR)
Extraits de "Al-Ittihad" mai 1975 (journal de l'UTIT actuelle FTCR)

Extraits de "Al-Ittihad" mai 1975 (journal de l'UTIT actuelle FTCR)

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