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11 May

Rue Courbet, av. de Palestine … Certes, mais « rue des arabes » toujours !

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #Récits, #ballades ..., #Mémoire, mémoires

Rue Courbet, av. de Palestine … Certes, mais « rue des arabes » toujours !

A Menzel Bourguiba (ex-Ferryville), comme sans doute partout ailleurs dans le monde, les Places et les monuments sont des lieux de mémoire. Il arrive parfois et même très souvent que la mémoire collective garde des noms de place alors même que celles-ci ont été débaptisées et parfois à plusieurs reprises. Très curieux en effet le fonctionnement de la mémoire. Il est vrai qu’avec le temps et les nouvelles générations qui n’ont pas vécu ou connu les évènements du passé et la symbolique qu’ils peuvent parfois avoir pour les plus anciens, les souvenirs ont tendance à s’émousser quelque peu. Pour autant il est tout de même curieux que certains souvenirs persistent. Il en est ainsi de la place du farfadet, des arcades, la Briqueterie, le transvall … Il en est ainsi de la « rue des arabes » !

La « rue des arabes »

Il peut paraître pour le moins incongru en effet que de parler de la « rue des arabes » dans un pays comme la Tunisie. Incongru peut-être mais la chose est bien réelle. Il y a bien à Menzel Bourguiba ex-Ferryville une « rue des arabes ». J’allais dire il y avait, au passé, mais je me rends compte que, aujourd’hui encore, on parle de la « rue des arabes ». Administrativement ? Non ! Simplement comme un lieu-dit !

Mais remettons les choses dans leur contexte. Nous sommes à la fin du 19ème siècle, en 1881 pour être plus précis et la Tunisie a été placée sous protectorat français. Quelques années plus tard la décision de construire un port militaire au fond du lac de Bizerte est prise. Pour cela il a fallu tout d’abord expulser et/ou repousser les communautés villageoises qui vivaient là depuis toujours. Un immense chantier est alors ouvert. Et, pour ce faire, on a besoin de main d’œuvre. Il y a des italiens, des maltais, des tunisiens bien sûr mais aussi des algériens, marocains, soudanais …. Bientôt une ville nouvelle va voir le jour : Ferryville (ici). Son urbanisme et son tracé rectilignes, son architecture de type colonial. Ses nouveaux habitants, des bourgeois français venus pour la plupart de la région lyonnaise, des italiens également (lesquels ont toujours été plus nombreux que les Français en Tunisie), des commerçants mais aussi des fonctionnaires. Une fois l’arsenal achevé on fera venir des ouvriers des chantiers navals de Toulon, de la Seyne s/mer, de Bretagne … pour y travailler. Des quartiers spécifiques vont alors naître : le quartier sicilien de la « petite Sicile » près du cinéma Olympia ; il y avait également « la grande Sicile » non loin de l’église ; il y avait des cafés et des bars, très nombreux, dont les noms sont révélateurs (café des Bretons, café de Nice, café toulonnais, café provençal (ici) .

Des quartiers par communautés ?

Il y avait aussi ce que l’on nomme le « quartier arabe ». Cette rue a une particularité plus connue sous le nom de « rue des arabes », Nehj El-arab’ comme on dit en tunisien. A noter que c’était la seule rue à Ferryville que l’on caractérisait ainsi puisque que, à ma connaissance, il n’y avait pas de rue des français, ni rue des italiens, des maltais, des corses, des toulonnais ou encore des bretons (je cite là les principales communautés d’origine des ferryvillois de l’époque). Pour autant, il semble bien, comme le signale Marius Autran, que les relations entre les méridionaux, les Corses et les Bretons n’étaient pas toujours faciles et que les Français de Ferryville préféraient se regrouper par communautés ou régions d’origine[1]. L’explication est à chercher ailleurs donc. Il paraît évident que se sont les européens qui sont à l’origine de cette appellation. Un surnom que les Tunisiens d’aujourd’hui ont néanmoins gardé. Comme un sobriquet ! S’agit-il alors d’une autre façon de nommer un quartier ? Justement, il est intéressant de signaler que dans une carte postale assez ancienne de la rue Courbet on trouve le nom de « quartier arabe ». Avant même que ne soit construit le tout petit pâté de maison situé entre les rues Courbet/Robin/Victor Hugo. Un petit îlot triangulaire qui comportait un café, Chabiba, deux coiffeurs et le bureau où siègera le stade africain.

Voilà donc un petit quartier arabe qui se situait au cœur de la ville européenne. Bien sûr non loin il y avait le quartier sicilien et le quartier juif[2] là où était située la synagogue de la rue Hoche (actuelle Ali Bach-Hamba) qui fut inaugurée en 1937 en même temps que le cimetière juif. Situons d’abord cette rue ou plutôt cet espace de la « rue des arabes ». On l’a dit, administrativement c’était, à l’époque, la rue Amiral Courbet (actuellement avenue de Palestine) qui commence donc de l’avenue de France et qui part de l’avenue de France jusqu’au bd Gambetta (actuel Bd Mohamed Ali), là où il y avait le café de Nice. Toutefois, et il faut le préciser, la « rue des arabes » dont il est question ici ne correspond pas tout à fait à toute la rue Courbet mais seulement à une portion de celle-ci laquelle commence avec l’avenue et s’étale sur 150 à 200 m environ, jusqu’au croisement de la rue de la République et la rue Mirabeau, avec cette petite place là où se trouvaient la boulangerie Randazzo, le café des Bretons, le café Mzali et l’épicerie Raïs.

Ainsi, plus que d’une rue il s’agit davantage d’un petit quartier au croisement deux rues. Et cela pourrait expliquer que le premier bâtiment de la rue Courbet, qui appartient à la famille Ben-Yedder, était déjà à cette époque une épicerie algérienne. Et de fait, dans ce quartier, il y avait là également (il y a toujours) un hammam, connu sous le nom de « hammam du centre » (hammam el bled) et tenu par des gens originaires du Mzab d’Algérie. Il y avait là également au moins six cafés (les cafés maures comme disaient les européens) fréquentés majoritairement par des gens de confession musulmane qui se retrouvaient là pour les très prisés jeux de cartes (chkoba, rounda…etc). C’était aussi des espaces pour se retrouver et échanger entres eux. Un lieu de vie. Il y avait tout d’abord trois cafés situés sur la rue Robin (actuelle rue Habib Bougatfa) comme le café Badaoui (café de la gaieté à l’époque), le café Echabiba (café de la jeunesse), le café Azzouz qui donnait sur la place du Farfadet. Puis ceux sur la rue Courbet : le café Hédi Abdallah, le café (ou plutôt la taverne) la Fourmi et plus haut, près de la boulangerie Randazzo, le café Mzali. Mais outre les cafés et le hammam il y avait dans ce quartier nombre de petites épiceries (tenues surtout par des Jerbiens), coiffeurs, des ftaïrya (marchands de beignets, originaires pour la plupart de Ghomrassen) …etc. Il y avait même quelques restaurants et gargotes tenus par des maghrébins. Peut-être y avait-il là également des oukalas ces hôtels collectifs. On sait aussi que l’équipe de football le SAF (stade africain de Ferryville) - l’équipe locale de football, devenue plus tard SAMB, qui s’est constituée en 1939 avait choisi après la guerre en 1946 d’installer son siège dans ce quartier, rue Robin. Disons plutôt l’une des équipes locales, la tunisienne, puisque l’autre, l’USF (union sportive de Ferryville), était alors considérée comme l’équipe des européens (Voir à ce sujet un précédent article (ici).

Alors la « rue » des arabes désignerait finalement un « quartier arabe » ? Il y avait pourtant d’autres quartiers où vivaient en grande majorité des tunisiens, situés après la voie ferrée, où les habitants se regroupaient plutôt par communautés (« Chlaghmia », « Gbatna », « Rmadhnia » … ). Mon hypothèse est donc la suivante : Chacun sait que Ferryville s’est construite en parallèle avec le chantier de l’arsenal. Il a fallut faire appel à de la main d’œuvre venue de nombreuses régions et même de l’étranger (italiens, maltais …). Il y avait des tunisiens originaires des environs (Bizerte, Mateur, Ras-jebel …) évidemment mais aussi d’autres venant de régions plus lointaines (ghomrasem, jerbiens, sahéliens …). Il y avait également des algériens, des marocains, des soudanais … qui - contrairement à ce qui c’était passé pour de nombreux italiens à la fin du chantier de l’arsenal après 1906 - n’étaient pas reparti et avaient préféré s’installer à Ferryville. Mais comme ils n’appartenaient à aucune des communautés citées plus haut, ils ont élu domicile dans ce quartier familier. Certains ont, sans doute, trouvé un emploi à l’arsenal. Nombreux aussi travaillaient dans les nombreux petits commerces du quartier. Nous avons là, sans doute, les premiers prolétaires, non européens, et qui seront à l’origine de la constitution des syndicats autochtones et évidemment les militants et sympathisants du mouvement national à Ferryville.

Voilà qui pourrait expliquer ce surnom que l’on donnait à cette rue et à ce quartier : « rue des arabes ».

Mohsen Dridi

La photo provient du site de Christian Jung

[1] Voici ce que dit M. Autran : « Débarqués dans le port de Bizerte (…) il nous fallut gagner Ferryville et nous installer provisoirement dans une chambre d'hôtel donnant sur l'avenue de France. Dans les jours qui suivirent, mes parents trouvèrent à se loger dans la campagne au hameau appelé Tindja. Là, ils se heurtèrent à des colonialistes bretons avec qui la cohabitation fut plutôt difficile. Ces derniers ne cachaient pas leur mépris des méridionaux qu'ils appelaient les mocos, terme dont ils n'auraient pas su expliquer l'origine. Notre séjour à Tindja fut de courte durée car l'administration maritime se mit en devoir de loger son personnel très confortablement le plus près possible de l'Arsenal. À la rue Franklin, un ensemble immobilier important fut occupé par des Français, des méridionaux en majorité. (…) La rue Flanklin était habitée seulement par des Français (…). Beaucoup de toulonnais. (…) Ils ne cachaient pas un certain mépris pour les occupants d'origine italienne et même les Corses. (…) Les familles méridionales de migrants seynois ne tardèrent pas à faire connaissance, à s'inviter le dimanche, à organiser des sorties champêtres, des parties de chasse ou de pêche. On s'informait des courriers en provenance du continent, on commentait les nouvelles de La Seyne » (cf. Migrants Seynois » 2001)

[2] La population juive est arrivée à Ferryville vers 1913. Il y avait dans cette communauté des juifs tunisiens (qui comptaient environ 70 âmes en 1921 pour atteindre 323 en 1946 et redescendre à 179 en 1956). A ces juifs tunisiens il faut ajouter ceux venus de France. Au total elle comptait moins de 500 personnes à la fin de la seconde guerre mondiale et environ 270 en 1956.

Rue Courbet, av. de Palestine … Certes, mais « rue des arabes » toujours !
Rue Courbet, av. de Palestine … Certes, mais « rue des arabes » toujours !
Rue Courbet, av. de Palestine … Certes, mais « rue des arabes » toujours !

Je viens de lire votre papier sur la rue des Arabes. Intéressant évidemment. Ingénieux mais hasardeux. Les ouvriers qui ont construit l'arsenal et la ville (Siciliens et Soudanais, (du Soudan français, soit l'actuel Mali ?)) sont repartis et la ville s'est considérablement dépeuplée. Je pense pour ma part que la "rue des Arabes" désigne le quartier où se concentrent la majorité des commerces arabes et notamment, et surtout, les cafés maures. Ce qui implique une fréquentation… sans qu'il soit nécessaire d'en faire un quartier d'habitation. À l'origine, il n'y avait d'ailleurs pas beaucoup d'"Arabes" à Ferryville. D'accord avec vous sur la persistance de la mémoire.
Cordialement

Jean-Paul BRUCKERT

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H
What a beautiful place! We had visited Palestine several years back. We were lucky enough to have an excellent tour guide with us. He took us to almost all the iconic places. It was a memorable experience. Thanks for sharing.
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Garder vive la mémoire d'une ville (Menzel Bourguiba ex-Ferryville) et de ses habitants