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25 Sep

Les élections libres et transparentes ! Oui, mais …

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #"Humeurs", #Chroniques sociales et politiques

Les élections libres et transparentes ! Oui, mais …

 

Le verdict du 1er tour des présidentielles en Tunisie est tombé faisant l’effet d’une bombe dans le paysage politique et de l’opinion publique. Du moins une partie de l’opinion. Deux choses sont à relever : 1/ Les élections, pour la 5ème fois depuis la révolution, se sont déroulées dans la transparence et cela est à mettre à l’actif et de l’ISIE et du pays  et 2/ les électeurs et surtout les jeunes ont, néanmoins, signifié, par leur vote, un rejet absolu de toute la classe politique, de tout le système disent certains, pouvoir comme opposition, qui a participé aux affaires après la révolution. On pourrait presque en dire autant concernant la forte abstention. Un désir profond de changement s’est exprimé et doit être pris en compte. 

 

Et cela la classe politique, qui a tourné le dos aux aspirations de la révolution par aveuglement ou par cupidité, en porte l’entière responsabilité. C’est la piteuse image de la classe politique et son comportement indigne qui ont encouragé et facilité la propagation de la corruption, des lobbies et des mafias en tous genres. Et on ne peut que partager la colère des citoyen(ne)s et cet envie de renverser la table. Mais il semble que certains veulent en découdre au point de jeter, comme on dit, le bébé non seulement avec l’eau du bain mais pourquoi pas avec la baignoire.

 

Les électeurs ont donc porté leurs suffrages sur deux candidats qui, en apparence du moins, leur apparaissaient « hors système ». Toutefois il est bon de rappeler que tous ceux qui ont participé à ce premier tour des présidentielles ne représentent que 48,98% du corps électoral soit 3.373.000 votants. Un nombre que l’on retrouve, d’ailleurs, dans quasiment toutes les élections depuis 2011 (à l’exception des municipales de 2018 qui ont vu une participation moindre). Question : que faisaient pendant ce temps les « quelques » 3.700.000 électeurs qui n’ont pas pris part au vote ? Et comme cela est récurent depuis 2011 on en arrive à ce constat inquiétant, neuf ans seulement après la révolution, que plus de 50% des électeurs sont, de fait, hors champs et pour qui les élections et la politique en général sont, comme on dit, le cadet de leurs soucis. 
Cette question posée et en attendant de trouver les réponses qui nous permettrons de comprendre le sens de cette abstention chronique, il nous faut néanmoins rappeler deux choses importantes : 1/ à savoir que les règles du jeu du suffrage universel sont ainsi faites que se sont ceux qui votent qui décident et les absents n’ont, par conséquent, rien à redire concernant les résultats du vote ; 2/ Mais il est bon aussi de rappeler que la démocratie ne se réduit pas aux seules élections et heureusement.

 

La transparence et le droit à l’information pour tous

 

Le premier tour a eu lieu, libre et transparent, et a donc donné les résultats que l’on sait. Les deux candidats ont, malgré leurs différences, comme point commun de profiter des manquements de l’Etat et de ses institutions lesquels se sont dérobés à leurs responsabilités à l’égard des populations et des régions qui s’estiment délaissées depuis des décennies. Pour ma part je n’ai voté pour aucun des deux candidats arrivés en tête et, malgré cela, je peux dire ici ma fierté que les élections, en tant que moyen politique et pacifique de gestion des conflits et des contradictions, soient entrées dans les mœurs de la société en Tunisie. C’est un acquis à préserver jalousement. Pour autant je dois dire que je suis resté sur ma faim au vu de la campagne électorale qui a fait que les deux finalistes – abusivement appelés « anti système » alors même qu’ils sont de purs produits du système et tout particulièrement du système médiatique – soient arrivés en tête. Et plus particulièrement la campagne du candidat Kaïs Saïed. Je m’explique : Que je sache, une campagne électorale se fait par divers moyens et supports auxquels ont librement accès tous les citoyen(ne)s et les électeurs pour faire leur ultime choix le jour du vote. Et qu’en tout état de cause une campagne électorale est toujours régie par des lois et des règles qui donnent à tous les candidat(e)s les mêmes droits et les mêmes obligations. Et qui offrent évidemment et peut être surtout les mêmes chances aux électeurs (Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014).

 

Or, me semble t-il, Kaïs Saïed n’a pas (ou si peu) fait de campagne. En tout cas pas de campagne au sens classique du terme et surtout il a tout fait pour éviter les médias tunisiens qui restent, malgré toutes les insuffisances et les critiques souvent justifiées, non seulement parmi les supports les plus suivis mais aussi, est-il besoin de le rappeler, comme l’un des principaux contre-pouvoirs indispensables dans une démocratie. Une campagne donc atypique et a minima. C’est du moins ce que je pensais. Et pourtant Kaïs Saïed est arrivé en tête du 1er tour obtenant plus de 637.000 voix (18,4% des votants). Car, après tout et apriori, rien n’interdisait à des millions de tunisien(ne)s lors de ce 1er tour de voter pour lui si, bien sur, ce qu’il propose leur convient et si son programme et ses arguments sont convaincants. Ce n’est que dans les tous derniers jours avant le vote que j’ai découvert comme un grand nombre de tunisien(ne)s je suppose que - et contrairement à ce que je pensais - Kaïs Saïed a bel et bien mené campagne et ce depuis des années, et qu’il avait des groupes sur les réseaux sociaux qui le soutenaient, que ces réseaux eux-mêmes très actifs propageaient des idées et des projets qu’ils présentaient comme étant fidèles au programme de Kaïs Saïed. Un projet refuge où chacun y trouvait et y plaçait toutes ses attentes. Ce projet et ces idées appellent, ni plus ni moins, à « révolutionner » et bouleverser le système politique, social, institutionnel, culturel … établi en Tunisie après la révolution mais même depuis l’indépendance. Et surtout c’est un projet de quasi démantèlement de l’Etat. Ces groupes et ces réseaux se sont autoproclamés le « courant révolutionnaire ». C’est leur droit le plus absolu et c’est de bonne guerre dans une campagne électorale. A UNE condition toutefois : Que l’ensemble des tunisien(ne)s et des électeurs en soient publiquement informés en toute égalité et dans la transparence. C’est cela la campagne électorale. Or ces groupes ont principalement sinon exclusivement fonctionné à partir des réseaux sociaux et surtout des listes fermées privant ainsi l’écrasante majorité des tunisien(ne)s d’être à un même niveau d’information sur leurs objectifs et ceux de leur candidat. 

 

Ils ont mené des campagnes digitales ciblant prioritairement certaines catégories de personnes, des jeunes en particulier eux-mêmes déjà très actifs sur les réseaux sociaux et fonctionnant en groupes fermés, qui rappellent étrangement les méthodes favorites utilisées par les courants néoconservateurs et les mouvements d’extrême-droite dans d’autres contrées (le Brexist au Royaume Uni, Salvini en Italie, D. Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil …). Ainsi aujourd’hui on peut se faire élire en maîtrisant 2 ou 3 choses importantes : 1/ de bien identifier les catégories et groupes cibles susceptibles d’adhérer à votre programme ou votre propagande ; 2/ de tabler également sur un nombre suffisant de votants pouvant vous porter en tête du scrutin et évidemment en se donnant sérieusement les moyens de les mobiliser le jour J, et ainsi, les jeux sont (presque) faits. Et si à cela on ajoute les sondages qui sont de plus en plus performants au point d’anticiper les résultats on se demande parfois à quoi servent les élections ? 

 

Ainsi non contents d’être déjà assignés à telle ou telle « communauté d’amis » dicté - imposé presque - par les fameux algorithmes des réseaux sociaux et notamment facebook voilà qu’en plus les groupes de soutien à Kaïs Saïed se sont, visiblement, fixés comme règle de fonctionner surtout par listes fermées presque comme des tribus où tout fonctionnent sur les émotions et l’affect - y compris le ressentiment à l’égard des autres - entretenant ainsi une quasi pensée unique qui se s’entretient et se reproduit en permanence et en boucle faisant barrage à toute altérité. Il faut dire à leur décharge que tous ceux, de l’autre bord, qui utilisent facebook et les réseaux sociaux fonctionnent également de la sorte. Nous sommes véritablement dans un déni de démocratie. C’est certes  leur droit le plus absolu si cela ne concernait qu’un hobby passager, un jeu ou activité particulière ou que sais-je. Mais, quand cela touche les élections qui doivent décider du destin du pays, alors il y a problème. Et si, de surcroît, l’essentiel de la campagne de Kaïs Saïed s’est fait surtout par le biais de ces réseaux et à partir de ces listes quasi-fermées n’est-ce pas là une grave atteinte à la transparence de la campagne électorale ? Ne sommes-nous pas, dès lors, en droit de nous interroger sur les réelles motivations et les objectifs de ceux qui ont mené campagne pour Kaïs Saïed et du même coup sur ceux du candidat lui-même ? 

 

Je n’ai pas voté Kaïs Saïed pour de multiples raisons et notamment parce qu’il a pris des positions de mon point de vue réactionnaires sur toutes les questions sociétales et des libertés individuelles (la peine de mort, les mœurs, la famille, l’égalité H/F …). Ce que j’ai pu lire et voir sur les réseaux sociaux ouverts au public n’ont fait que me renforcer dans mon positionnement. Mais mon appréhension est encore plus grande en imaginant ce qui s’écrit et se dit sur les listes fermées des réseaux sociaux. Et, cerise sur le gâteau, l’avalanche de soutiens que Kaïs Saïed a reçus de tous les milieux conservateurs et extrémistes laisse peu de place au doute.

 

Pendant ce temps Nabil Karoui, l’autre candidat « hors système » arrivé second, demeure derrière les barreaux, sans procès et pour qui la présomption d’innocence ne s’applique pas. Et qui, du coup, ne peut participer à la campagne électorale à égalité avec son adversaire. Une situation ubuesque et porteuse de tous les dangers.  

 

Comme on le voit au lendemain du second tour des présidentielles le pays se réveillera probablement avec la gueule de bois. Il restera alors à la société civile de redoubler de vigilance et de veiller au grain. En attendant que la gauche se réveille.

 

Pour ma part je ne voterai ni pour l’un ni pour l’autre au second tour des présidentielles, je ne m’abstiendrai pas, JE VOTERAI DONC BLANC.

 

Mohsen Dridi
Le 24 septembre 2019 
 

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