Un kiosque qui bat la mesure
Le kiosque à musique de Menzel, voilà un monument qui fait
vraiment la fierté de la ville et de ses habitants. D’ailleurs s’il est un lieu qui résume toute l’âme de Menzel – Ferryville c’est bien celui du kiosque, situé au cœur même de la ville, en tout
cas de la ville telle qu’elle avait été conçue à ses débuts. A chaque ville sa médina, celle de Menzel, justement, c’est celle-là. Et le kiosque en est l’élément incontournable par ailleurs si
bien décrit par Roger Vincent Aiello dans son roman « Un pied-noir comme les autres » : « Imaginez une enceinte haute comme un premier étage, d’un blanc éclatant sous le
ciel bleu, percée de portes mauresques le tout sur une petite place où, en plus d’un kiosque à musique et des palmiers, il y a des bancs où les vieux viennent s’asseoir. Passez une de ces portes
et vous pensez à Gauguin, comme ça, d’un seul coup ! ». En effet rien ne pourrait mieux rendre toute la profondeur d’un paysage que la peinture, seule capable, probablement, non
seulement de reproduire les nuances de couleurs, mais aussi de traduire les multiples impressions que l’on ressent dans certains lieux. Et la place du kiosque à musique de Menzel Bourguiba
est un de ces lieux. Car le kiosque à musique est aussi un lieu de mémoire qui a vu passer des générations de ferryvillois et de menzéliens. Et comme tel un véritable repère pour les habitants et
pour tous les âges. Pour les petits bien sur le kiosque est un lieu de jeu (quel enfant n’a pas fait, entre autres jeux, la course sur le rebord du kiosque …) et pour les parents un passage quasi
obligé. Et pour les plus anciens les bals musette, les retraites aux flambeaux, les fanfares municipales …
Evidemment Menzel Bourguiba n’est pas la seule ville à avoir un kiosque à musique en Tunisie. Avec la colonisation les français ont construit des kiosques dans plusieurs villes du pays (Sfax, Sousse, Bizerte, Tunis …). Néanmoins il faut ici préciser que le kiosque a une origine très lointaine notamment en Chine mais on le retrouve également en Turquie.
Mais le kiosque à musique de style français tel que celui de Menzel remonte, lui, au 18è siècle. Il s’agissait alors notamment après la révolution française de 1789 et celles qui suivirent (en 1830 et 1848) d’ouvrir au peuple les salles de concerts de musique qui étaient réservés jusque là à l’aristocratie ou à la bourgeoisie. En un mot une démocratisation de la musique. Dorénavant la musique sera publique et dans un espace ouvert. Voilà d’ailleurs ce qu’en dit une spécialiste reconnue de la question Marie–Claire Mussat « Les révolutions bourgeoises de 1830 ont touché toute l’Europe. Les mentalités ont changé. La grandeur du pays était symbolisée par l’industrie qui se généralise et par les colonies dont la plupart des pays occidentaux se pourvoient. Cela va de pair avec une glorification de l’armée. Les musiques militaires connaissent de ce fait un grand succès. Elles doivent toucher la population pour encourager les sentiments patriotiques. Les défilés et les concerts sur les kiosques à musique sont l’occasion pour l’armée de développer des relations publiques avant la lettre. (…) Dans les colonies aussi, les musiques militaires trouvent un terrain pour s’exprimer : les Européens ressentent ainsi leur solidarité loin de la mère-patrie et montrent de façon pacifique aux indigènes leur puissance coloniale » (ici). Bien sur au 19e siècle et au début du 20e les kiosques sont surtout des lieux destinés aux grands rassemblements populaires ainsi qu’aux fêtes et aux bals.
C’était justement le cas du kiosque de Ferryville – Menzel Bourguiba.
Mais c’était également un espace et un lieu de repos à l’ombre des arbres et des palmiers. A l’origine, avec la construction du marché vers 1905, il y avait la place du marché qui deviendra plus
tard la place Guépratte (aujourd’hui place de l’indépendance). Quelques années plus tard, vers 1912-1914, on commença à planter les arbres de la place. Il est vrai qu’elle était vraiment centrale
cette place du marché : Face à l’avenue principale, jouxtant le bâtiment de la « commission municipale », rue de Corse, avant la construction de la mairie … D’ailleurs le
visionnaire Joseph Décoret avait tout à fait imaginé, dans le croquis qu’il avait dessiné, un espace qui ressemble à un … kiosque. Néanmoins celui-ci ne verra le jour qu’entre les deux guerres et
très probablement vers 1924-25. Mais quant à savoir qui l’a conçu, où a-t-il été construit (à l’arsenal ?)… peu d’informations à vrai dire. Il faudra donc continuer à chercher.
L’essentiel c’est que le kiosque est là et qu’il a traversé le temps. Certes il a pris de l’âge, comme les arbres et toutes les plantes sur la place, mais cela leur donne plus d’assurance et plus de sérénité. Car c’est un lieu où l’on ressent vraiment la paix et la tranquillité. Et de souvenirs puisque le kiosque comme la place du marché sont en quelque sorte un pont qui enjambe le temps et qui fait un clin d’œil à l’histoire. Même le brouhaha des tables des cafés qui grignotent l’espace et encombrent, l’été, les trottoirs de la place n’arrivent pas à entamer cette sérénité. Heureusement qu’il y a l’immanquable « Chebranda », le cireur de chaussures, qui est toujours là pour nous rappeler, avec une saveur qui lui est particulière, que le kiosque est là. Qu’il a besoin juste d’être entretenu pour le plaisir des yeux et pour la joie des enfants. Il ne manque, peut-être, à cette place que le regard attentif d’un Gauguin, un Farhat ou un Torki.
M.D.