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31 Jan

Révolution Tunisienne : Attention, fossoyeurs aux aguets

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #Chroniques sociales et politiques

kasbah.jpgOuf ! Après des semaines d’atermoiements, d’hésitations, de manœuvres sordides aussi voilà enfin la énième mouture du gouvernement  annoncée. Il était temps. Mais que de temps perdu quant on sait que les manifestants depuis des semaines maintenant et surtout ceux venus des sidi-Bouzid, Kasserine, Tella, Regueb .. qui occupaient la place de la kasbah (premier ministère) demandaient de rompre avec le pouvoir précédent et refusaient que des postes ministériels qui plus est stratégiques soient donnés à des membres RCD. C’est compréhensible, c’est politiquement juste et normal, c’est tout bonnement humain compte tenu du drame que le pays viens de vivre. Ce qui est incompréhensible c’est pourquoi donc avoir tant tardé ?

 

Mais à peine la composition du nouveau gouvernement annoncée par le Premier Ministre voilà que les évènements prennent, comme par hasard, une tournure inquiétante. L’évacuation brutale des gens qui occupaient la place de la Kasbah depuis plusieurs jours par les « brigades d’intervention » de la police alors même que le nouveau ministre de l’intérieur venait d’être nommé. Depuis lors c’est plutôt la cacophonie du côté de la « communication » gouvernementale. Cacophonie car les explications se suivent mais se contredisent. Ainsi sous le titre « éclaircissements du ministère de l’intérieur… » l’agence TAP reprenant le communiqué officiel en date du 28 janvier nous raconte que « Les forces de sécurité effectuaient une opération de permutation périodique dans l'après-midi du vendredi 28 janvier, et ce concomitamment avec l'opération effectuée par cette unité pour enlever les barrières, place de la Kasbah, en réponse à l'appel des habitants de la région, commerçants et artisans, qui avaient exprimé les dommages et les désagréments qu'ils n'ont cessé de subir en termes de difficulté de circulation et de déplacement entre les souks de la Médina et les avenues Bab Bnet et 9 avril. Lors de l'accomplissement de leur mission, les agents de sécurité ont été attaqués par surprise par certains des contestataires qui observaient le Sit-in à la place de la Kasbah et qui croyaient que l'opération de permutation des agents et de facilitation de la circulation visait à les attaquer » (ici). La veille, cependant, la même agence nous rapportait les choses de la manière suivante « Les forces anti-émeutes ont tiré plusieurs grenades lacrymogènes contre les derniers manifestants qui leur jetaient des pierres et n'avaient toujours pas quitté les lieux au lendemain de l'annonce de la nouvelle composition du gouvernement provisoire ». Est-ce ce qu’ont constaté les journalistes de la TAP eux-mêmes ou est-ce la version que leur ont donnée les forces de police ? Voilà une question qui mérite d’être creusée. Par ailleurs une voix discordante au sein du gouvernement s’est exprimée pour nous préciser que « Il n'y a eu aucun ordre d'évacuation. Ni le Premier ministre ni le ministre de l'intérieur n'ont donné l'ordre d'évacuation ». C’est Mokhtar Jalleli le tout nouveau ministre de l'agriculture et de l'environnement qui nous l’affirme et qui d’ailleurs se dit « surpris de cette intervention musclée alors que des négociations étaient engagées pour parvenir à une levée de l'occupation de la place » (ici). De même de nombreux mouvements de la société civile, y compris d’ailleurs des partis membres du nouveau gouvernement, dénoncent l’utilisation de la force et demandent l’ouverture d’une enquête (ici). D’autres témoignages commencent à arriver et de plus en plus nombreux et donnent une version différente de celle des autorités (ici) et si elle se confirmait et il y a de quoi s’interroger sur ce qui se passe en réalité sur le terrain. Des avocats membres de l’Ordre des avocats, présents au moment de la charge policière, sont même encore plus ferme dans leur critique de la méthode et déterminés à demander des excuses publiques de la part du gouvernement.

 

Car la question mérite qu’on si attarde sérieusement. Dans toute révolution il y a toujours un risque de contre-révolution. Et en Tunisie les ingrédients de cette contre-révolution sont toujours là. Et ils peuvent encore et à nouveau faire beaucoup de mal. On l’a vu durant la fameuse semaine où la milice et les snipers ont semé la terreur dans tout le pays. On le voit de plus en plus et de manière insidieuse avec les attaques répétées contre les locaux de l’UGTT dans de nombreuses villes du pays ; avec également les provocations contre les manifestations comme celle par exemple du 29 janvier organisée par les mouvements de femmes ; et la même question se pose de même concernant l’attaque des manifestants qui occupaient pacifiquement la place de la Kasbah (ici). Et à chaque fois le même scénario : des groupes de personnes qui s’infiltrent parmi les protestataires ou les manifestants et tentent de provoquer la police laquelle répond, sans aucun discernement et de manière disproportionnée (manque de professionnalisme ?), par la répression tout azimut. Et ce phénomène se répète sans que ces groupes ne soient à aucun moment inquiétés. Et les témoignages (et, demain, il faut l’espérer, les preuves) sont de plus en plus nombreux.

 

La question mérite qu’on si attarde sérieusement car tout l’appareil de l’état-RCD n’a pas été éradiqué. Il ne s’agit pas ici de faire une chasse aux sorcières mais il faut rappeler néanmoins une évidence que beaucoup semblent avoir oubliée : la Révolution s’est faite avec des revendications et des attentes on ne peu plus claires et urgentes notamment en matière de dignité et de justice. Les autres demandes (travail, répartition équitable des richesses entre les classes et les régions, démocratie …) relevant elles d’un agenda un peu différent. Mais la justice et la dignité, du moins l’attente dans le comportement de l’administration et plus particulièrement de la police, d’un traitement juste et qui respecte la dignité des gens est, pour le coup, une exigence immédiate et non négociable. Or tout ce auquel on assiste ces derniers temps n’inspire pas confiance, c’est le moins qu’on puisse dire, et laisse, en tout cas, planer un doute sérieux quant à la volonté de ceux qui détiennent les rennes du pouvoir et de la décision d’en finir réellement avec les méthodes et la pratiques de l’ancien régime. A moins, à moins que le nouveau gouvernement ne contrôle pas du tout la situation. D’où l’importance et l’urgence d’une enquête sérieuse sur tous ces « dérapages ». Car si le nouveau gouvernement n’a pas pour l’instant été contesté par le peuple c’est que ce dernier a fait la concession en lui laissant du temps. Mais encore faut-il que celui-ci comprenne qu’il a accumulé un énorme et sérieux déficit de confiance (et pas seulement de communication). Et un des gestes, a-minima, pour commencer à rétablir cette confiance aurait été de s’adresser un peu plus directement à ces campeurs pacifiques comme d’ailleurs l’avait laissé entendre le premier ministre Ghannouchi. Or cela n’a pas eu lieu. Simple rumeur ou repli tactique de dernière minute, allez savoir ! Le pouvoir a ses raisons que la raison (ou le bon sens) ignore. Et puis après tout, pour être tout à fait franc et direct, en quoi ces campeurs lesquels rappelons le viennent des régions les plus démunies du pays, celles laissées pour compte depuis l’indépendance, qui n’avaient qu’un souci celui d’être les veilleurs vigilants de cette Révolution (« on ne laissera pas nous voler notre Révolution »), en quoi donc ces campeurs gênaient vraiment le travail du gouvernement. Ils auraient levé le camp seulement quelques jours après ceux qui sont déjà repartis après l’annonce de la composition du gouvernement. La bonne marche des affaires du pays et l’action du gouvernement voire même du premier ministère étaient-elles, à ce point, empêchées ? Une affaire de quelques jours ou quelques semaines tout au plus. Mieux encore et, soit dit en passant, le gouvernement constitué à l’issu de cette Révolution ne voyait-il pas que ces campeurs étaient peut-être un appui indispensable pour mener à bien les réformes en cours ? Le gouvernement a-t-il oui ou non conscience que rien n’est encore définitivement acquis et que tout démontre, au contraire, que les vestiges de l’ancien régime, l’état-RCD, occupent encore de nombreux rouages de l’administration et de l’appareil d’État et qu’il sont prêt à tout faire capoter ? Ce qui donne encore plus de consistance et de justesse à la vigilance des campeurs de la place de la Kasbah. Voilà donc les « sans-culottes » de l’an 2011, Tunisiens dans l’âme certes, mais avec, néanmoins, une dimension intéressante pour de nombreux autres pays et peuples, donc universelle.

 

Certes il ne faut pas glisser dans l’hystérie et le verbiage de prétendus « gardiens de la révolution » ou que sais-je encore. D’ailleurs la question n’est même pas posée. Non, nous avons, au contraire, besoin d’un travail sur la citoyenneté à la fois en profondeur (qui prendra du temps nécessairement car nous avons tout à apprendre et à inventer) mais aussi dans la pratique. Peut-être même que c’est par l’expérience et par la pratique que l’on peut le mieux en tirer les enseignements utiles pour demain et pour toutes et tous. Et puis d’ailleurs il n’y a pas de citoyenneté sans les citoyens ! La citoyenneté ne s’octroie pas. Ce n’est pas un « prêt à porter ». Se sont, certes, des règles du « vivre ensemble » dans une république et dans une démocratie, mais il y a surtout l’expérimentation. Et ce que viennent de vivre les Tunisien-nes depuis ce 17 décembre 2010, suite à la mort de Mohamed Bouazizi, constitue sans doute la plus grande école et la plus importante expérience en la matière. Un concentré d’expériences en matière de formation politique et à la citoyenneté au sens le plus noble du terme. Un citoyen vigilant vaut tout autant qu’un consommateur affadi.

 

Un tout dernier mot pour terminer : Quand donc allez-vous comprendre messieurs du gouvernement que la Révolution actuelle exige de vous et des fonctionnaires de bien comprendre une chose essentielle : Les Tunisien-nes veulent être traités avec respect et dignité. Fini le temps où l'Etat ne concevait ses rapports avec le citoyen-ne qu'en terme de rapport de force et de violence.

 

A bon entendeur salut.

 

Mohsen Dridi

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