Mais où est donc passé le pont de Tinja ?
Voilà donc une bien étrange histoire. Cela se passe un jour de
février 1900, et alors que ni Ferryville, ni l’arsenal ne sont encore tout à fait fonctionnels, partout de nouvelles constructions, un véritable chantier à ciel ouvert. Par exemple l’une des
toutes premières réalisations de services publics à Ferryville fut la poste (avant même la mairie). Et chacun peut deviner l’importance accordée par les autorités du protectorat aux moyens de
communication et de transport. Il y a eu les voies de chemin de fer reliant Bizerte à Tunis furent construits entre 1892 et 1894. De même, la Marine avait fait construire, pour les besoins
stratégiques militaires en tout premier lieu, la route qui va de Bizerte vers Mateur en passant par Tinja. Là, à la gare de Tinja, les voyageurs qui voulaient se rendre à Ferryville devaient
alors prendre le tramway, le fameux TFA (Tindja-Ferryville-Arsenal) mais que les gamins de l’époque surnommaient le « Tacot-Ferraille-Antiquité » (la place de la
gare – en fait il s’agissait de la station Ferryville du tramway - se situait près du grand hôtel de l’arsenal, actuel café « Jeanfré »). Pour l’anecdote en 1899, à la gare de
Tinja, les voyageurs à destination de Ferryville s’étaient plaints de ne pas trouver, comme cela avait été promis par l’administration, de buffet pour pouvoir se restaurer en attendant leur
correspondance. Mais là n’est pas mon propos. C’est simplement pour souligner l’importance des moyens de communication. C’est dire que les routes, le rail comme les ponts sont des éléments
d’ordre stratégiques sans lesquels il n’y a ni commerce, ni industrie, ni protectorat pour tout dire. Quant à notre histoire de pont (il s’agit très vraisemblablement du pont sur l’oued Tinja)
elle est cocasse certes parce que le journaliste de la Dépêche en parle de manière tellement imagée, mais l’important c’est l’information. Alors pour finir qu’est-il arrivé à notre pont ? Il
s’est tout simplement écroulé, tout seul. Je vous rassure tout de suite cela se passait en … 1900, il y a bien longtemps donc. Et depuis « que d’eau a coulé sous le nouveau pont ». Mais
au moins nous savons que le pont actuel que nous empruntons pour aller vers Bizerte n’est pas le premier pont à avoir enjambé l’oued Tinja.
M.D
La Dépêche Tunisienne 19 février 1900
« II y avait une fois un roi et une reine qui n'avaient jamais eu d'enfant.
Mais, comme je suppose que vous connaissez tous ce petit conte de fée, je vais, si vous le voulez bien, vous en narrer un autre. Il y avait une fois, sur la route de Sidi-Abdallah, un pont dont on faisait grand cas. L'Administration des Travaux publics l'avait particulièrement soigné; car il était destiné à desservir le futur arsenal, et il devait, par conséquent, supporter de grosses charges. Tout comme un simple contribuable (La comparaison entre ce pont et un libre citoyen de la Régence n'est pas si outrée qu'il semble à première vue, tous deux ayant eu besoin d'être bardés de métal pour ne pas succomber sous le poids de ces charges !). Car ce n'était pas un joujou de pont d'or, que le pont de Sidi-Abdallah, mais un solide pont en ciment armé de fer, un pont comme il en fallait pour résister aux charrois de la grosse artillerie. C'était un monument digne de soulever l'admiration générale
Mais voilà qu'un triste jour, l'administration des Travaux publics fut mise en grand émoi. On y apprenait, avec stupeur, que le pont avait disparu sans laisser de traces. La brigade de police de Ferryville commença aussitôt une enquête, sous la haute direction de MM. les ingénieurs des Ponts et Chaussées. et l'on ne tarda pas à acquérir la certitude que le malheureux hypocondriaque s'était, de lui-même, précipité dans la rivière.
Les motifs de cette funeste détermination sont restés inconnus. On suppose que le pont avait des chagrins
de famille et qu'il rougissait des auteurs de ses jours. « Jetons un voile sur ce drame a dit tristement M. le Directeur des Travaux publics. « Et recommençons »
cf. La Dépêche Tunisienne 19 février 1900. Gallica.bnf