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15 Feb

« Dégage ! » et ... en français dans le texte

Publié par menzelbourguiba-ex-ferryville.over-blog.fr  - Catégories :  #Chroniques sociales et politiques

degage-Rcd.jpgDégager. Voilà donc un bien curieux verbe qui, par un non moins curieux hasard dont seule l’histoire, la grande Histoire bien sur, avec un grand H, a le secret, se voit admirablement conjugué. Le verbe dégager conjugué au présent de l’impératif s’écrit et se prononce « dégage ! ». Voyons tout d’abord la définition de ce verbe transitif (j’ai trouvé tout cela dans le dictionnaire évidemment) : « Délivrer » ou mieux encore « retirer ce qui emprisonne » voire « retirer ce qui encombre ». Tiens, tiens ! Du côté des synonymes nous trouvons là également l’embarras du choix avec « débarrasser, déblayer, débloquer, déboucher, débrouiller, débroussailler, décharger, décolleter, découvrir, délier, délivrer, désencombrer, détacher, dispenser, exempter, exhaler, exonérer, extraire, isoler, libérer, mettre, produire, puiser, purger, relever, rendre, répandre, retirer, tirer ».

 

Mais ce n’est pas la richesse ou la complexité de la langue française qui est le sujet de mon papier d’aujourd’hui. Non, c’est du destin d’un mot de la langue de Molière comme on dit, plutôt d’un verbe qui s’est trouvé là, un peu par hasard, mais néanmoins au bon moment et au bon … ? . J’allais dire au bon endroit mais je dois préciser que cet endroit se trouve à quelques milliers de km du pays de Molière, pays dont la langue maternelle est plutôt l’arabe. Et pourtant c’est là, en Tunisie, en Egypte et ailleurs que le verbe « dégage ! » a fait une rencontre formidable avec l’histoire. Et quelle histoire !

 

Bon ce n’est certes pas la première fois que dans les sociétés arabes se déroule un événement disons … un peu rocambolesque et ironique, et qui prend, tout d’un coup, une dimension médiatique planétaire. Chacun se souvient de ce 14 décembre de l’année 2008 à Bagdad lorsque un certain Mountazer Al-Zaïdi, journaliste de son Etat, lança sa chaussure, et en direct, sur l’ex-président américain G.W.Bush. L’événement avait alors défrayé la chronique et avait fait la tournée des unes du monde entier. Et depuis non seulement le journaliste, devenu depuis lors un véritable héros pour son peuple, mais également la chaussure était devenue, elle, le symbole de tous les opprimés. Et pas seulement G.W.Bush puisque, au fond, le symbole ne s’adressait pas seulement à lui, et on le comprend. A force de chercher, en vain, des ADM (arme de destruction massive) G.W.Bush, après avoir détruit tout un pays, a fini par récolter une  simple … savate, mais quelle savate. Ça c’était en 2008 en Irak.

 

Tunis, le Caire, Alger, Sanaa, Beyrouth, Amman …

 

degage-photo-main.jpgEn 2011 voilà que, à nouveau, un événement vient troubler la sérénité  de nos « grands ». Non cette fois ce n’est pas une chaussure mais un mot, plus précisément un verbe, repris inlassablement par des millions de gens, et rythmé par un slogan : « Dégage ! ». Juste un mot à deux syllabes. Mais répété sans cesse « Dégage ! », « Dégage ! », « Dégage ! ». Autant de fois que nécessaire ce mot a été dit, scandé, chanté même par des foules joyeuses.

 

Tout à commencé à Tunis, capitale d’un pays arabe pourtant. Bien sur la langue et la culture françaises ne sont pas en terre étrangère. « Dégage ! » entendait-on partout et surtout ce fameux 14 janvier 2011 devant le ministère de l’intérieur à Tunis. « Digage ! », « Digage ! » revenait, en écho, le slogan qui sortait des dizaines de milliers de gorges et de gens massés devant le saint des saints de la répression du régime de Ben Ali et de son prédécesseur Bourguiba. Et pas seulement de la voix. Des panneaux, des écriteaux et des pancartes confectionnés à la hâte où étaient inscrit les mêmes mots « Ben Ali dégage ! », « RCR dégage ! » … Et pas seulement des mots et des voix mais également des gestes. Ou plutôt un seul et même mouvement de la main, de milliers de mains de toutes sortes, de toutes couleurs, des petites, des grandes … toutes dans un même mouvement faisant le geste simple mais sans le moindre doute quant à sa signification : « Dégage ! », « Dégage ! ». Et sur la toile et les réseaux sociaux les internautes s’y sont donnés à cœur joie. Le slogan « Dégage ! » a été remixé par les designers d’où sont apparus des dizaines d’affiches sur ce thème.

 

Et notre « Dégage ! » national n’en a pas fini de faire des émules et, comme une trainée de poudre, partout dans le monde le slogan a retenti et a fait la « une » des médias. Et d’abord dans le monde arabe où la Révolution Tunisienne a, certes, ouvert la voie mais dont nul ne sait où elle s’arrêtera. Et après Tunis ce fut le tour du Caire. Rien d’étrange à cela car quant on regarde attentivement l’histoire de ces deux pays on se rend compte de la grande proximité et de l’influence réciproque en matière de réformes politiques et culturelles. Voilà peut-être l’une des explications qui fait que notre « Ben Ali dégage ! » a trouvé échos et refuge au Caire, à Alexandrie … devenant « Moubarak dégage ! ».

 

 

Et partout la même rage et les mêmes espérances : Dignité, justice sociale, liberté et démocratie.

Mais une remarque toutefois curieusement c’est dans la langue de Molière que certains de ces slogans furent repris partout. Au Caire, à Alger, à Amman, à Sanaa … partout le « … dégage ! » a été l’élément fédérateur. Et en français dans le texte. Voilà de quoi flatter quelque peu l’égo des descendants de Molière.

 

ben-ali-degage.pngTunis, le Caire, Alger, Amman, Sanaa … mais aussi à Rome en ce 13 février 2011 où des dizaines de milliers de femmes sont descendues dans la rue avec comme slogan « Après Moubarak, Silvio Berlusconi ». Et dans la presse française et ailleurs les « unes » avec ce slogan « dégage ! » ont fait le tour de presque toutes les rédactions.

Partout, dans toutes les capitales où il y a eu des manifestations de solidarité avec les révolutions tunisienne et égyptienne, partout on a vu fleurir ce slogan « dégage ! ».

 

Les grands penseurs des Lumières et les valeurs qu’ils prônaient seraient-ils encore une référence ? Celles de la révolution française également ? Mais reprises par les peuples arabes, avec des mots arabes, des références culturelles arabo-musulmanes, maghrébines, africaines, en un mot avec, comme cela est normal, les couleurs locales … et pourtant avec un attachement profond à des aspirations et des valeurs universelles. Valeurs universelles à ne surtout pas confondre ou réduire à l’Occident. Ces valeurs ne sont pas occidentales, elles sont tout simplement universelles. Ou alors si elles ont été occidentales à une certaine époque, l’Occident à fini par leur tourner le dos. Mais en tout état de cause il ne peut pas se les approprier sans prendre le risque d’en faire, alors, des notions toutes relatives qui perdraient du coup leur dimension universelle.

 

Curieux comment parfois l’histoire bouscule les aprioris et les clichés que l’on croyait enracinés. Et pourtant l’histoire, par on ne sait quel stratagème dont elle a le secret, arrive à nous rappeler à l’ordre. Et parfois par des subterfuges bien curieux. Et ironiques par dessus le marché. Là une savate, ici un mot « dégage ! », et quoi encore demain ?

 

Alors il va falloir être attentif et suivre l’itinéraire de notre fameux slogan. Ben Ali, Moubarak... Demain qui ?

 

Voilà pourquoi j’ai repris ici tout ce que j’ai pu récupérer comme photos autour de ce mot « Dégage ! ».

 

Mohsen Dridi

 

degage-2d18c.jpg  Ben-Ali-degage.jpg

Boutef_degage_m.jpg  degage-ben-ali2.jpg

 

degage-affiche4.jpg  degage-affiche2.jpg  degage-affiche3.jpg  

degage-zaba-caric.jpg

 

 

Degage--mot-qui-engage-de-Tunis.jpg  degage-algerie.jpg

 

degage-caric-elwatan.jpgdegage-une-libe.jpg

 

degage-couv.jpg  degage.jpg3-jpg 

 

kabila-degage.jpg  kabila-degage1.jpg

 

rcd-degage.jpg   lapin_degage.jpg 

 

degage-MAM.jpg  degage-Bouteflica.jpg 

 

egypte-manifestation.jpg   degage-Ben-ali.jpg 

 

etc.

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S
<br /> Moi, je me demande pourquoi ce verbe et pas un autre mot? j'imagine un tunisien qui désire renvoyer quelqu'un dire "okhroj", "tiir","barra rawah","imchi" ou en français "dehors". Je pense qu'on a<br /> opté ,et je pense dans toute la spontanéité du monde, pour ce verbe pour sa musicalité et sa légèreté. Aussi, il est chargé affectivement d'une colère et de mépris que n'expriment pas les mots<br /> cités plus haut. De plus, dans le contexte, il fallait un mot qui libère du tabou de la langue arabe qui s'emploie au quotidien puisqu'on s'adresse à une autorité et non à une connaissance proche<br /> ou à un joueur au stade.<br /> <br /> J'aime ton article. Très bien écrit.<br /> <br /> <br />
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