"C'est une révolte ? Non, sire, c'est une révolution !"
Je sais vous allez me dire que cette expression date de
1789 alors que grondait la révolution française et que la royauté vivait ces derniers instants. Cette révolution qui a tout balayé non seulement le pouvoir du roi mais encore tout les fondements
du système économique, social et politique sur lequel reposait jusque là la France. Révolution qui a également eu des répercussions à travers le monde et à commencer par les pays de l’Europe.
Aujourd’hui cette expression s’applique tout à fait à ce que nous sommes en train de vivre en Tunisie. Nous sommes témoins d’une révolution dont on ne mesure pas encore l’ampleur et les conséquences pour nous, pour nos enfants mais encore pour l’ensemble des pays arabes. Et tout commença en ce 17 décembre 2010 lorsque Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid. Son geste, que certains considèrent, peut-être, comme un signe de faiblesse ou de folie, n’est nullement un simple refus de la misère et du chômage même si ces facteurs en sont à l’origine. Non son geste fou est l’acte ultime d’un homme qui ne voulait plus qu’on attente à sa dignité en tant qu’être humain. Et c’est cela qui a déclenché le mouvement de protestation à Sidi Bouzid qui a fait tâche d’huile dans toute la région et qui a embrasé tout le pays. Pourtant d’autres avant lui, à Sidi Bouzid ou ailleurs, ont agit de la sorte, alors pourquoi lui, pourquoi dans cette région et pourquoi maintenant ? Accumulation d’un certain nombre de facteurs et de toutes les frustrations. Plus tard les sociologues, les historiens … apporteront les explications et les analyses qui permettront de comprendre et de déchiffrer ces évènements dramatiques. L’histoire des sociétés est ainsi. Elle est d’une curieuse alchimie. Il suffit d’une goutte pour faire déborder le verre. Et ce 17 décembre Mohamed Bouazizi fut cette goutte. Quatre semaines de manifestations et une répression sanglante qui a fait des dizaines de morts. Et c’est la jeunesse qui était en première ligne. Ce mouvement se voulait pacifique. Déterminé certes mais pacifique. Le point de départ était une réaction profondément humaine, les gens s’étaient identifiés à Mohamed Bouazizi. Plus jamais çà ! Nous voulons vivre dans la dignité. Réaction profondément humaine mais avec néanmoins des revendications sociales très concrètes : Le droit au travail. La brutalité de la répression a choqué tout le pays et au delà. Mais les dictatures sont ainsi faites. Elles pensent que plus elles frappent fort et plus les gens se soumettent. Bêtises ! Et c’est justement la répression aveugle et brutale qui a poussé le mouvement du terrain social vers celui des libertés. Les tunisiens ne se sont pas soumis, la solidarité s’est, au contraire, développée et élargie à toutes les régions, toutes les couches de la population et à toutes les générations, aux hommes et aux femmes. La solidarité face à la brutalité voilà ce qui a fait basculer les évènements. La peur avait, dès lors, changer de camp. Après avoir tenté la tactique (tant de fois utilisée) de prétendus « agissements d’une minorité de perturbateurs » évidemment manipulés par « l’étranger » …, Ben Ali décide de limoger son ministre de l’intérieur, ordonne la libération de toutes les personnes arrêtées durant les évènements ainsi que la formation de deux commissions chargées d’enquêter l’une sur les « éventuels dépassements commis durant ces évènements », la seconde chargée, elle, « d’examiner le problème de la corruption ». Rien n’y fait, le peuple n’en a cure, trop habitué aux promesses non tenues de Ben Ali. Que ne fut-elle prise, au tout début des évènements, cette décision et nous aurions peut-être évité tant et tant de victimes innocentes ? Mais là, c’est trop tard. Quelque chose semble cassé, et sans doute définitivement, entre le peuple dans toutes ses composantes et ceux qui ont dirigé le pays ces dernières décennies. Car quant une police tire à balles réelles contre ses propres citoyens, fussent-ils des manifestants, que peut-elle attendre en retour ? Rebelote le lendemain. Ben Ali récidive avec des annonces qui vont encore plus loin dans les concessions. Rien ! Le peuple est sourd. Ou plutôt les discours de Ben Ali lui sont, dorénavant, inaudibles. Il n’attend qu’une chose. Go Home ! Et au bout du compte le 14 janvier 2011, après moultes tergiversations et de reculades en reculades, Ben Ali, l’ex-dictateur, n’a eu d’autres choix que de prendre la fuite.
Fin du premier acte.
Le second acte est en train de se jouer maintenant. Mais il est certain que ce premier acte a posé les soubassements d’une nouvelle société en Tunisie. La parole a été, non pas octroyée, non simplement libérée. Les slogans lancés dans toutes les manifestations sont d’une clarté telle, d’une maturité et d’un contenu qui ne laissent place à aucune ambiguïté : « Le pain, la liberté, la dignité ! », « Ben Ali dehors », « non à la corruption » … Aucun pouvoir, demain, quel que soit sa couleur, ne s’aventurera à en oublier la leçon. Il s’agit ici de mettre sur pied le programme transitoire et les décisions, pour les quelques semaines à venir, qui vont permettre la sortie de crise et déclencher le processus électoral démocratique. Après s’ouvrira la 3ème phase, probablement la plus importante, celle qui devra transformer les acquis et les pérenniser. Car à mes yeux la démocratie n’est pas un « prêt à porter ». Ce sont certes des institutions à mettre en place mais cela nécessite beaucoup plus pour le long terme. Elle demande des efforts de toutes et tous et en particulier d’introduire une véritable culture des droits de l’homme, du respect de l’autre et de l’égalité entre tous les citoyens et en particuliers entre les hommes et les femmes. C’est la meilleure garantie contre les éventuelles dérives qui pourraient pointer leur nez à l’avenir.
Mais pour cela il y a, à mon avis, au moins un préalable : une véritable enquête pour déterminer les responsabilités des tueries. Qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants ? Pas nécessairement par esprit de vengeance mais pour la vérité que nous devons aux familles des victimes et pour la justice.
Encore un mot
Il se passe actuellement et ce depuis la nuit du 13 et surtout du 14 janvier des choses d’une extrême gravité. Des actes de vandalisme, de vol de biens sont signalés dans de nombreuses localités. Des bandes organisées armées de couteaux sèment la terreur parmi les populations. En l’absence de la police c’est l’armée qui a pris la défense de ses populations. Dans les quartiers les habitants tentent de s’organiser de plus en plus en groupes d’auto-défense. Mais le plus grave et surtout le plus troublant c’est le nombre de ces bandes, les moyens dont ils disposent, leur rapide propagation dans les régions … Sommes-nous, après la fuite des Ben Ali, des Trabelsi et consorts, en train d’assister à la mise en œuvre de la tactique de « la terre brûlée » ? D’autant que les rumeurs (en attendant leur très probable confirmation) circulent que des éléments de l’ex-parti au pouvoir voire de la police ne seraient pas tout à fait étranger à ces évènements. Simple coïncidence ? En tout état de cause la vigilance de tous et de toutes s’imposent.
Et Menzel dans tout çà ?
D’après les informations Menzel est une ville martyre. Les destructions de bâtiments administratifs, de services, des banques, mais aussi des magasins ont été brûlés et dévasté. Dans toutes révolutions ce genre de choses est malheureusement inévitable. Mais il semblerait que, concernant Menzel, la plupart de ces destructions ne sont pas nécessairement le résultat d’affrontements avec la police mais plutôt des actes isolés de vandalismes. Dommage ! Mais là de même ne sommes-nous pas en train de recueillir les « fruits » (plutôt amers) de plusieurs décennies de vide politique et associatif. Le système Ben Ali-RCD a fait le vide absolu à ce niveau et à Menzel peut-être plus qu’ailleurs. Plus aucune institution ou association un tant soi peu autonome et dans lesquelles se reconnaissent les citoyens. C’est ce qui doit impérativement changer avec la révolution en cours. Il faudra beaucoup d’efforts et de moyens pour reconstruire ce qui a été détruit et saccagé. J’en appelle à toutes et tous, à ceux qui aiment cette ville, à réfléchir sur ce que l’on pourrait envisager comme contribution. Ce serait peu être notre modeste contribution à la révolution en cours.
M.D