Nous sommes tous « Charlie » !
Nous sommes tous « Charlie » !
Les assassins des 10 journalistes de Charlie-Hebdo et des deux policiers ont commis leur ignoble crime en étant persuadé d’avoir « vengé le prophète » et l’islam salis, à leurs yeux, par les caricatures de ce journal.
Ils ont tué des caricaturistes, certes, mais ils n’ont pas tué la caricature qui leur survivra. Parce qu’ils ne savent pas que la caricature et l’insolence et l’irrespect de leurs auteurs sont d’abord des armes contre les puissants, contre la bêtise de ceux qui y aspirent, jamais contre les peuples et les humbles. Et qui plus est, la caricature est une tradition en France qui a toujours fait trembler la bêtise et la suffisance des puissants du moment. Mais cela ils ne le savent pas. Ils ont certes assassiné des dessinateurs de Charlie-Hebdo mais Charlie-Hebdo leur survivra. Si dans les caricatures de Charlie-Hebdo l’islamisme radical, cette lecture littéraliste et donc caricaturale de l’islam, en a pris pour son grade ces dernières années c’est en raison des dérives dont il s’est rendu responsable et du visage monstrueux qu’il s’est lui-même fabriqué. Caricatures contre caricatures ? Nous sommes tellement dans la caricature que ces apprentis-justiciers ne se rendent même pas compte qu’ils sont les meilleurs supports publicitaires pour les dessins qu’ils prétendent combattre. Caricatures contre caricatures peut être. A part que les unes ont pour seules armes le dessin et le crayon alors que les autres usent des bombes et de kalachnikov. Et là il n’y a pas photo.
Ce qui est terrible c’est que ces criminels sont, comme à chaque fois dans ce genre d’actes, intimement persuadés de la justesse non pas seulement de leur cause mais surtout de leur geste et des moyens violents qu’ils utilisent et que les musulmans leurs seront gré. « On » (les fameux gourous qui les endoctrinent) a même soufflé à l’oreille de ces apprentis-justiciers qu’en mourant dans ce genre d’opérations ils iraient tout de droit au paradis.
Ceux qui les ont engagé, formaté et armé (idéologiquement, financièrement et logistiquement) peuvent pavoiser, ils ont une fois de plus - une fois de trop - atteint leur objectif et peuvent commencer à récolter ce qu’ils ont semé des années durant : la culture de la mort !
Et c’est, à mes yeux, ce message - à travers (et par delà) l’horreur du massacre commis contre Charlie-Hebdo - qui est grave. Car ce qui rend encore plus effroyable les péripéties de ce massacre c’est ce geste de l’un des tueurs qui, après avoir blessé un policier dans la rue, est revenu vers lui pour l’achever de sang froid. L’horreur du crime a laissé place à la monstruosité du criminel.
Pourquoi, comment et par quels mécanismes nos sociétés - en France et en Europe mais aussi sur l’autre rive de la méditerranée - ont-elles pu enfanter cela. Nul ne doit se défiler face à cette responsabilité même si elle est collective.
Les jeunes endoctrinés et leurs proches sont aussi des victimes de cette culture de la mort alors même qu’ils sont encore à la fleur de l’âge. Et là tout le monde est concerné et interpellé : Les familles, l’école, les institutions, les gouvernements, la police, la justice, les médias, les partis politiques, les lieux de cultes (et donc les responsables) et notamment ceux de l’islam car c’est, entre autre, dans les textes religieux que ces jeunes puisent pour agir ainsi.
Dès lors il ne suffit plus de dire, comme le font certains, que cela n’a « rien à voir avec l’islam ». Les musulmans doivent se questionner. Et notamment ceux qui cherchent à nous vendre l’idée que, aux problèmes politiques et sociaux des pays d’origine, « l’islam est la solution ! ». C’est justement leur conception, fondée sur le lien, supposé indissociable, entre politique et religion, Etat et charia, qui entraine inévitablement, de la part de certains peu préparés, des lectures extensives des textes coraniques sortis de leur contexte et donc les dérapages sanglants que nous voyons à l’œuvre dans de nombreux endroits de la planète.
Attention cependant à ne pas tomber dans l’auto flagellation surtout dans un contexte où l’islamophobie bat son plein et où les maghrébins en France et en Europe sont en permanence mis en demeure de se justifier. Il faut systématiquement refuser le piège qui est tendu. Et pourtant une réflexion approfondie est indispensable.
D’autant que l’islamisme qui prétend pourtant revenir aux sources de l’islam « originel » apparaît de plus en plus sous son vrai visage et semble n’être finalement qu’un avatar de cette mondialisation néolibérale enclenchée dès les années 80 sous l’impulsion des Reagan et Thatcher.
Il est tout autant indispensable que la société française (et les sociétés occidentales) s’interroge. Car les assassins de Charlie Hebdo sont de jeunes français nés et ayant vécu et grandi en France. Ils sont d’abord le produit de cette société et cette époque. Hier Kelkal et Merah, aujourd’hui les frères Kaouchi comme les centaines de jeunes qui sont allés en Irak ou en Syrie (y compris nombre de jeunes convertis). Voilà entre autre pourquoi la société française ne peut faire l’économie d’un questionnement sérieux.
Ce coup de colère je le devais à la mémoire de toutes les victimes et à leurs proches
En attendant "Nous sommes tous Charlie !"
Mohsen Dridi
Le 9 janvier 2015